Quels défis économiques pour la Tunisie de demain ?

Ahmed El Karam, Directeur Général d’Amen Bank : « L’économie tunisienne doit lutter tout d’abord contre la pauvreté et l’exclusion, faire face à une baisse de la croissance économique et lutter contre la hausse du chômage…

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La Tunisie vit à l’heure d’un changement politique avec un nouveau gouvernement qui sera installé dans les prochains jours. Le pays est en train de vivre une période de transformation profonde qui a créé de nouveaux défis et opportunités, en particulier pour l’économie du pays. Les défis qui se posent à la Tunisie sont énormes comme l’a précisé Ahmed El Karam Président du directoire d’Amen Bank lors d’une  rencontre avec les étudiants de  leaders University. Le pays devra faire face à des problèmes socio-économiques qui nécessitent une vision prospective et une action rapide et efficace.
Les dossiers brûlants qui devront posés devant le nouveau gouvernement sont multiples et complexes a précisé M El Karam : « l’économie tunisienne  doit  lutter tout d’abord contre la pauvreté et l’exclusion, faire face à une baisse de la croissance économique et lutter contre la hausse du  chômage. Il est vrai que plusieurs difficultés sociales et économiques, amples et redoutables, menacent de freiner ces progrès. Trois défis demeurent de taille : l’emploi, en particulier celui touchant les diplômés, les inégalités régionales de développement, et la révision de l’investissement. L’engagement du gouvernement à mettre en œuvre ces réformes pourrait rassurer les investisseurs étrangers ainsi que les Tunisiens des opportunités à venir. La concentration des investissements et ainsi que des activités économiques dans les zones côtières a accentué certes la pauvreté et le chômage dans les autres régions, notamment le chômage des jeunes et des femmes. Une réorientation des ressources publiques vers les régions intérieures du pays, des services publics transparents et décentralisés axés sur les résultats, ainsi qu’une politique de discrimination positive en faveur des femmes pourraient contribuer à rétablir davantage d’équité sociale régionale. Ces régions intérieures  a expliqué le Président du directoire d’Amen Bank sont souvent oubliées. Les disparités régionales sont accentuées par la concentration des services publics, des investissements et des activités économiques dans la région côtière, Par conséquent, les régions intérieures sont moins bien desservies en termes de services publics et en logement social. Quelque soit le niveau de pauvreté, la Tunisie est appelée à réduire la pauvreté, mais l’inégalité demeure un défi. Le gouvernement doit s’orienter vers l’intérieur et créer des synergies autour des projets porteurs »

Une économie plus compétitive

Pour booster  plus notre économie, a expliqué Ahmed El Karam il est urgent  de mettre en évidence les composantes de la compétitivité avant les plans d’action par paliers destinés à lutter contre les goulots d’étranglement. « Comme nous le savons, la compétitivité dépend aussi bien des coûts des facteurs que de l’environnement des affaires. Or, des deux côtés, des réformes importantes sont à réaliser. Concernant d’abord les facteurs de production, il s’agit fondamentalement des éléments suivants : les ressources humaines  avec le problème de la formation et du système éducatif d’une façon générale ; l’accès au financement qui nécessite une réforme du système financier malgré les acquis ; le foncier et la lutte contre Le remembrement des terres ; la promotion de l’entreprenariat ; l’accès à la technologie et le challenge de la  recherche scientifique. Il faudrait surtout améliorer le système éducatif et l’orienter davantage aux besoins du marché : Plus de30 % des diplômés sont au chômage. Les cursus universitaires et de formation professionnelle devraient être ajustés de manière à ce que les compétences produites soient adaptées aux besoins du marché du travail du secteur privé. Une approche plus proactive pourrait être adoptée par les universités et les écoles de formation pour établir des partenariats avec le secteur privé, permettant aux étudiants et aux enseignants d’être en contact direct avec le secteur privé. A long terme, les efforts devraient être orientés à améliorer la qualité du système éducatif.
L’économie tunisienne est considérée avoir des capacités limitées d’innovation. Il y a une grande opportunité à créer un environnement des affaires favorables à l’innovation et à la recherche, à travers une plus grande liberté de l’entrepreneuriat. De nos jours, les entreprises compétitives sont intégrées aux chaînes de production et aux réseaux de distribution mondiaux.

Repenser le rôle de l’Etat : créer de l’espace pour le secteur privé

Bien que la Tunisie ait engagé des réformes structurelles et de l’environnement des affaires, et libéralisé progressivement son économie, le gouvernement a conservé un contrôle étroit sur l’économie. Le rôle dominant du secteur public dans les domaines clés de l’économie a exacerbé les problèmes de gouvernance et a limité le développement du secteur privé. « Il y a lieu de revoir le cadre de gouvernance des entreprises publiques, y compris du secteur bancaire. Le rôle des entreprises publiques et la participation de l’Etat à leur capital devraient être reconsidérés afin d’améliorer la performance de ces entreprises et de laisser plus d’espace et d’opportunités au secteur privé », a souligné Ahmed El Karam qui ajoute : «Initier éventuellement de nouvelles privatisations, notamment dans des secteurs susceptibles d’influer positivement sur le reste de l’économie, stimulera le développement du secteur privé. L’entreprise privée peut jouer un rôle de premier plan dans la sortie de crise à travers l’investissement, la contribution à la création de richesses, la promotion de la production et de l’exportation, de manière à contribuer à créer des emplois et à établir une économie efficiente ».
Le banquier Ahmed El Karem a souligne la nécessité d’instaurer un partenariat public-privé (PPP) pour concrétiser des projets d’infrastructure de base de manière à résorber progressivement le chômage et d’impulser l’exportation, afin de dépasser la récession de la balance commerciale et de réduire le déficit de la balance des paiements. Des réformes fiscales s’imposent. Elles visent notamment à réduire l’évasion et  à accroître les recettes de l’Etat. La Caisse générale de compensation doit être  révisée surtout que les deux tiers des subventions vont vers les énergies et hydrocarbures (électricité, gaz naturel, carburant et bouteille de gaz). Elle profite à tout le monde alors qu’elle est destinée aux nécessiteux

Accorder un intérêt à l’énergie et à l’agriculture

Pour faire face à ces différentes contraintes, la Tunisie est appelée à  diversifier son économie. Mais adopter une stratégie lui permettant de diversifier les ressources de façon à assurer sa sécurité énergétique et  renforcer son indépendance.
L’objectif stratégique explique M. El Karem étant l’approvisionnement énergétique du pays dans les meilleures conditions de coût et de sécurité et l’accessibilité à l’énergie à tous les citoyens et à l’ensemble des régions et là il faudrait développer  l’utilisation des énergies renouvelables, développer  le gaz de schiste qui peut être une alternative sérieuse pour le secteur de l’énergie,  maîtriser beaucoup plus sa consommation d’énergie à travers des programmes plus ambitieux d’efficacité énergétique et d’utilisation rationnelle de l’énergie  et développer plus les  énergies renouvelables à travers notamment l’éolien et le solaire.
Côté agriculture et malgré  des acquis nous sommes loin d’avoir stabilisé notre production en grandes cultures et en productions animales, de façon à sécuriser le revenu des agriculteurs et garantir notre sécurité alimentaire. Le réchauffement climatique menace la Tunisie.
Dans 30 ans, la sécheresse va toucher deux tiers du pays sans vision, sans projet. On laisse toujours planer le spectre de l’insécurité alimentaire. Et s’aggraver la paupérisation du monde agricole et rural. Il est donc temps de mieux saisir les multiples enjeux du secteur de l’agriculture et là il faut développer la recherche, réduire le remembrement des terres et consolider le partenariat avec  certains pays méditerranéens comme l’Espagne sans oublier la mise à niveau de nos cultures. Le grand défi c’est la conquête des marchés extérieurs. La Tunisie a une faible diversification des exportations. L’Europe est notre principal partenaire. La diversification des exportations et de la prospection de nouveaux marchés, notamment en Afrique subsaharienne et en Chine. Cela est possible à la faveur du  renforcement de la coopération avec les pays africains et asiatiques, l’encouragement du partenariat dans le cadre de l’espace euro-méditerranéen et la diversification des relations de la Tunisie avec les pays des continents américain et asiatique, sans négliger les rapports avec les pays émergents. Cette nouvelle ère ouvre de nouveaux horizons pour sortir de la spirale des faibles taux de croissance économique. Pour ce faire, il est vital d’instituer un nouveau modèle de croissance basé sur l’innovation  et l’intelligence et qui devrait engendrer une transformation structurelle du tissu productif tunisien, vers une sophistication appuyée, ce qui devrait contribuer à accroître l’intégration au commerce mondial, l’internationalisation des entreprises tunisiennes, l’amélioration tangible du couple productivité – compétitivité, tout en boostant, au final, la croissance économique qui, avec des taux conséquents, pourra ainsi absorber les flux des demandeurs d’emploi nouvelle génération. Le prochain gouvernement pourra se défaire des goulots d’étranglement qui ont entravé son développement. Aujourd’hui plus que jamais, la société civile, et surtout les jeunes qui ont  été à l’origine de ce changement politique, auront  la responsabilité de prendre part au programme de développement du pays. Le secteur privé  jouera également un rôle clé dans l’amélioration de la compétitivité et de la croissance du pays.
« Dans un contexte d’ouverture et d’insertion croissante à l’économie internationale, la Tunisie devra relever de nombreux défis économiques et sociaux en relation avec la croissance économique, l’emploi, le logement, la qualité de l’enseignement, la santé et l’éducation », conclut Ahmed El Karem.

 

Propos recueillis par K.B.

letemps.com.tn

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